Le président Emmanuel Macron est arrivé jeudi à Alger, dans le cadre de sa visite officielle en Algérie. Trois jours sous haute tension diplomatique pour tenter d’apaiser les relations entre les deux capitales et relancer les partenariats économiques au point mort.
Bis repetita. Emmanuel Macron est arrivé en Algérie , où il se rend pour la deuxième fois de son mandat du 25 au 27 août, répondant favorablement à l’invitation du président algérien Abdelmadjid Tebboune. Une longue visite officielle de trois jours et deux nuits à Alger et Oran. Son but ? En jargon diplomatique, ce nouveau déplacement présidentiel vise « à approfondir la relation bilatérale tournée vers l’avenir au bénéfice des populations des deux pays, à renforcer la coopération franco-algérienne face aux enjeux régionaux et à poursuivre le travail d’apaisement des mémoires« , avance-t-on du côté de l’Élysée.
Au programme, rencontre avec des artistes à Oran et visite du cimetière Saint-Eugène dans la périphérie d’Alger, très grand cimetière chrétien et juif en présence de l’archevêque d’Alger (le Grand Rabbin de France Haim Korsia devait également être présent mais il ne fera finalement pas du déplacement en Algérie : il a indiqué jeudi avoir été testé positif au Covid-19). Au delà de ces deux rendez-vous, de nombreux dossiers épineux à aborder. Les deux pays espèrent mettre fin aux tensions qui ont culminé ces derniers mois avec le rappel de l’ambassadeur d’Algérie en octobre 2021 après des propos du président français sur le système « politico-militaire » algérien et la nation algérienne.
L’ancien ambassadeur de France en Algérie Xavier Driencourt ne voit tout de même « pas bien l’intérêt d’une telle visite actuellement ». « Il n’y a pas de changement récent dans les relations avec l’Algérie, souligne-t-il à l’AFP. Il faudrait quand même qu’il y ait des gestes d’Alger sur un certain nombre de nos demandes que sont les laisser-passer consulaires, les affaires économiques. »
C’est oublier un peu vite la pénurie de pétrole et de gaz qui risque de peser sur la France dans les mois à venir. Les rigueurs de l’hiver pourraient avoir donné un sérieux coup d’accélérateur aux velléités réconciliatrices de la France. « Comme il faut trouver des partenaires pour se fournir en hydrocarbure, l’Algérie est bon magasin », lâche sans ambages Farid DMS Debah, fondateur du mouvement citoyen pour l’Algérie qui dit ne rien attendre de cette visite.
L’Algérie, troisième fournisseur de gaz naturel pour l’Europe derrière la Russie et la Norvège, et devant le Qatar, selon les chiffres d’Eurostat, approvisionne déjà l’Espagne, au Portugal et à l’Italie. La Sonatrach, géant pétrolier et gazier public algérien, a fait savoir au début de l’année vouloir investir 40 milliards de dollars entre 2022 et 2026 dans l’exploration, la production et le raffinage du gaz. Mais actuellement, les volumes de gaz du pays restent limités. Et « en cette période de guerre en Ukraine, l’Algérie ne manque pas de clients. La France a plus intérêt à se procurer du gaz que l’Algérie n’en a à lui vendre. » De son côté, « l’Algérie ne peut pas non plus faire l’impasse sur une bonne entente avec Paris », estime à l’AFP Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève, pointant notamment l’importance du dossier du Sahara occidental aux yeux des Algériens face à leur voisin marocain.
La guerre en Ukraine sur la table des discussions
D’autres préoccupations justifient ce déplacement présidentiel. Le sujet de la guerre menée par la Russie en Ukraine pourrait être abordé par la France. Car l’Algérie considère avec une « trop grande neutralité » sa proximité avec Moscou, selon une source diplomatique française. La bataille des visas sera également au centre des discussions : Paris a décidé d’en réduire la délivrance depuis qu’Alger refuse de reprendre les ressortissants expulsés par la France. Et naturellement, la question mémorielle qui continue d’empoisonner les relations.
La période, particulièrement riche en commémoration, est propice au rapprochement. Les deux Nations célèbrent le 60e anniversaire des Accords d’Évian (18 mars 1962), qui mirent fin à plus de sept ans de guerre entre insurgés algériens et armée française, et celui de l’indépendance de l’Algérie (5 juillet 1962) après 132 ans de colonisation française. Sur ce dernier point, Emmanuel Macron maintient le curseur sur le devoir de vérité historique, à condition qu’il soit mutuel, en cherchant à éviter toute repentance qui exacerberait les tensions au sein de la société française. Lors de son précédent déplacement à Alger en février 2017, Emmanuel Macron, alors candidat à l’Élysée, avait qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité », suscitant des espoirs de repentance en Algérie. Cette visite éclair lui avait aussi valu une pluie de critiques de la droite et de l’extrême droite en France.
La mémoire toujours au cœur des tensions
Cette fois, le président ne fera pas le déplacement seul. Au sein de l’aréopage français, des jeunes porteurs de la mémoire franco-algérienne réunis à plusieurs reprises dans ses travaux d’approche, des petits-enfants de combattants du FLN, de harkis ou de soldats français. L’historien de l’Algérie Benjamin Stora, dont le rapport sur la « réconciliation des mémoires » sert de mode d’emploi au chef de l’État, sera du voyage ainsi que l’expert du monde arabe Jean-Pierre Filiu et l’islamologue Gilles Kepel.
Autres personnalités invitées, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Mohamed Hafiz, et le grand rabbin de France, Haïm Korsia, dont les parents sont nés respectivement à Tlemcen et à Oran. Ce dernier, né en France et qui n’a jamais connu le pays de ses parents, aurait été alors la première personnalité religieuse juive au sein d’une délégation officielle à visiter l’Algérie. « Emmanuel Macron a tout intérêt à faire un geste fort vis-à-vis de l’Algérie, poursuit Farid DMS Debah. On voit bien le fiasco qui se joue sous nos yeux en Algérie et en Afrique francophone en général. La France perd du terrain de manière incroyable. Le paternalisme, toujours ressenti au sein des anciennes colonies françaises, perdure. Il n’est donc pas étonnant que le continent se tourne vers la Chine et la Russie qui, eux, les considèrent comme de simples partenaires. »
L’appel de la diaspora algérienne
Treize organisations de la diaspora algérienne attendent, par ailleurs, des propos d’Emmanuel Macron sur « l’état actuel des droits humains en Algérie ». « Près de dix mille arrestations suivies d’au moins un millier de détentions provisoires abusives en violation du code pénal sont à l’actif de ce régime depuis le début » des manifestations prodémocratie du Hirak (lancé en février 2019) qui ont ébranlé le pouvoir, dénoncent ces organisations dans une lettre ouverte au président français. Aujourd’hui, « les quelques acquis obtenus au prix de décennies de lutte et d’engagement citoyen (…) sur la liberté d’expression, d’organisation, de manifestation, de presse et de l’activité politique sont en net recul, voire en voie de disparition », poursuivent les organisations signataires.
Pas sûr que le chef de l’État se lance sur ce sujet, au vu des relations déjà tendues. « On n’attend pas vraiment grand-chose pour notre part, conclue Farid DMS Debah, du mouvement citoyen pour l’Algérie. Au début du Hirak, le mouvement avait déjà fait une lettre ouverte à Emmanuel Macron lui demandant de se positionner par rapport à la politique désastreuse en Algérie à cette époque. Nous avions obtenu lettre morte. »