Près d’un an après la mort de George Floyd, le mouvement Black Lives Matter a permis aux États-Unis de regarder la question du racisme en face. Joe Biden et sa vice-présidente, Kamala Harris, ont également promis de lutter contre un fléau qu’ils jugent « systémique ».
Entre 15 et 26 millions de manifestants à travers les États-Unis, des rassemblements dans plus de 2 500 villes et plusieurs mois de contestation : au lendemain de la mort de George Floyd, le 25 mai 2020 à Minneapolis, le mouvement contre le racisme et les violences policières Black Lives Matter est devenu, en à peine quelques semaines, l’un des plus importants de l’histoire du pays. Neuf mois après et alors que doit s’ouvrir cette semaine le procès de Derek Chauvin, le policier ayant donné la mort à George Floyd, la société américaine avance à petits pas.
« Black Lives Matter a permis de poser le débat et de faire avancer les choses, le choix de Kamala Harris pour la vice-présidence en étant la première illustration », juge Jean-Éric Branaa, spécialiste des États-Unis et maître de conférences à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas, contacté par France 24. « Joe Biden avait toujours dit qu’il choisirait une femme, mais les manifestations l’ont poussé à opter pour une Afro-Américaine. Or, Kamala Harris n’est pas n’importe qui : ses parents ont contribué à faire naître le mouvement pour les droits civiques à l’université de Berkeley. »
Au-delà d’un choix symbolique qui tranche avec un président sortant, Donald Trump, qui n’avait de cesse de diviser les Américains sur la thématique de « la loi et de l’ordre », le candidat Joe Biden montre qu’il compte bien s’emparer du sujet et parle rapidement de « racisme systémique » aux États-Unis. Une expression qu’il continue d’employer en tant que président des États-Unis.
Mais l’avancée la plus concrète est l’adoption par la Chambre des représentants, le 4 mars, du projet de réforme de la police. Baptisée « George Floyd Justice in Policing Act », cette réforme prévoit, entre autres, d’interdire les prises d’étranglement, de limiter les transferts d’équipements militaires aux forces de l’ordre et de créer un registre national des policiers licenciés pour abus.
La crainte d’un jugement type Rodney King
Le projet de réforme s’attaque aussi à la large immunité dont jouissent les policiers en cas de poursuites au civil. Il prévoit également la fin, pour les infractions liées aux stupéfiants, des mandats de perquisition permettant aux agents d’entrer sans frapper chez les suspects.
Le texte, qui doit maintenant être voté au Sénat, « n’effacera pas les siècles de racisme systémique » aux États-Unis, a déclaré la présidente démocrate de la Chambre, Nancy Pelosi, avant son adoption. Mais il sera « un pas énorme » vers « la construction d’une relation meilleure, plus saine, entre la police et des communautés qu’elle respecte ».
Pas question, en revanche, de couper net dans les budgets de la police, comme le réclamaient de nombreux manifestants avec le slogan « Defund the Police ». Le texte voté la semaine dernière au Congrès n’y fait aucunement référence. Et localement, certaines villes qui s’étaient aventurées sur ce terrain ont fait machine arrière. Le conseil municipal de Minneapolis, où George Floyd est mort, avait annoncé le 7 juin qu’il allait démanteler sa police. Celle-ci n’a finalement subi qu’une baisse de 8 millions de dollars sur un budget de 179 millions de dollars. À New York, les coupes d’un milliard de dollars dans le budget de la police, décidées en juin, ont finalement été significativement réduites et étalées dans le temps.
« L’issue du procès aura des conséquences importantes, prédit Jean-Éric Branaa. La crainte de tout le monde, c’est que ça se termine comme Rodney King [l’acquittement en 1992 de quatre policiers ayant tabassé un an plus tôt cet Afro-Américain à Los Angeles avait provoqué des émeutes sans précédent]. L’affaire Floyd est devenue totalement emblématique de la lutte inachevée pour les droits civiques. Or, pour la communauté noire, la lutte pour l’égalité passe aujourd’hui par une condamnation de Derek Chauvin. »
Le mandat de Joe Biden sous le signe de l’action antiraciste ?
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D’autant que sur le terrain, la situation n’a pas évolué : un millier de personnes ont encore succombé sous les balles de la police en 2020, dont 28 % d’Afro-Américains, alors qu’ils ne représentent que 12 % de la population. Et la justice a renoncé à poursuivre des agents responsables de la mort d’Afro-Américains non armés, comme Breonna Taylor, abattue dans son appartement du Kentucky, ou Daniel Prude, étouffé pendant une crise psychotique près de New York. De même que le policier ayant tiré à sept reprises à bout portant sur Jacob Blake, qui n’a pas succombé à ses blessures, dans le Wisconsin.
Joe Biden est donc attendu au tournant. Pour une partie de la communauté blanche, la mort de George Floyd a marqué « la fin des illusions nées avec l’élection de Barack Obama en 2008, lorsqu’on parlait d’Amérique ‘post-raciale’ et ‘colorblind’ », analysait en juin l’historien des États-Unis Romain Huret, interrogé par France 24.
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Or, Barack Obama s’était toujours présenté comme le président de tous les Américains, refusant ainsi de devenir celui qui prendrait à bras le corps la lutte contre le racisme aux États-Unis. « Aujourd’hui, le contexte a changé, note Jean-Éric Branaa. Les Américains qui ont voté pour Joe Biden attendent des actions fortes de sa part. Et comme il est à la fois blanc et vieux, et qu’il a clairement laissé entendre qu’il ne se représenterait pas pour un second mandat, il peut se permettre de faire ce qu’il veut sans se soucier de sa cote de popularité. »
« Il est temps d’agir parce que la foi et la morale l’imposent », parce que le racisme est « corrosif, destructeur et coûteux » pour les États-Unis, a déclaré le 26 janvier le 46e président des États-Unis au moment de signer plusieurs décrets pour lutter contre le racisme.