Depuis le début de la saison des pluies dans la bande sahélienne, les inondations et les crues provoquent de nombreux dégats humains et matériels. Et depuis une semaine, les intempéries se sont intensifiées obligeant de nombreuses populations à quitter leurs foyers. De Dakar à Niamey en passant par Khartoum et le Borno nigérian, les gouvernements tentent de limiter les pertes, souvent avec difficultés. Julie Bélanger, directrice du bureau des Nations unies pour la Coordination des affaires humanitaires (Ocha) en Afrique de l’Ouest et du centre, répond aux questions de Victor Mauriat.

Les dernières semaines ont été traversées par des inondations, par de fortes pluies et de crues sur l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Quel est le bilan humain après ces nombreuses semaines de perturbations ?

Julie Bélanger : Nos chiffres au 8 septembre 2020, on a à peu près 760 000 personnes qui sont touchées par des inondations, dans six pays pour lesquels on dispose de chiffres consolidés.

Quels sont les pays les plus touchés ?

Les pays les plus touchés pour le moment, on parle du Nigeria qui est principalement touché ; ensuite, on a effectivement le Tchad et le Sénégal, et le Niger.

Quand on parle « des plus touchés », c’est-à-dire que sur les 760 000 personnes qui ont été impactées, dans ces pays-là on est sous quel ordre de grandeur ?

Juste pour vous donner une petite mesure, au 7 septembre au Niger par exemple, on avait indiqué déjà que 329 000 personnes [chiffres du gouvernement] et plus avaient été affectées ; et au Nigeria, on a déjà 26 000 personnes affectées juste dans l’État de Borno. Et on a aussi des inondations dans les États de Jigawa, Kano, Kebbi et Sokoto qui sont au nord du Nigeria. Donc, deux pays principalement touchés pour le moment.

Justement, beaucoup d’habitants, de Dakar à Niamey, déclarent n’avoir jamais vu cela de leur vie, dans les différents reportages qu’on a pu entendre sur RFI. Est-ce que c’est réellement une situation à l’ampleur exceptionnelle de votre point de vue ?

Ce n’est pas une situation nouvelle. Mais effectivement, c’est une année qui nous semble assez exceptionnelle en termes d’impact pluviométrique. La saison des pluies n’est pas encore terminée. On fera le bilan à la fin, mais si au cours des prochaines semaines, les pluies, les inondations devaient s’atténuer dans certaines régions touchées, surtout au Sahel, elles toucheront probablement davantage les zones en Afrique centrale. Donc, on a déjà un impact global en 2020 qui est particulièrement grave. Et le nombre de personnes touchées pourrait dépasser celui de 2019, effectivement.

Quelles sont les réponses qui sont mises en place par, à la fois les Nations unies qui sont en coordination par les gouvernements, et avec quelles difficultés rencontrées pour la mise en place de ces solutions ?

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Les réponses, elles sont multiples. Mais évidemment avec un manque de ressources, avec l’accès qui est plus difficile en temps de pandémie, une réponse qui engage plus particulièrement aussi les capacités nationales, y compris celles des gouvernements de façon primordiale, et cela par le biais des protections civiles, des agences de gestion des catastrophes, etc., et de la société civile évidemment, les Croix-Rouge nationales, les ONG, les organisations communautaires.

On a eu beaucoup de témoignages de personnes qui étaient en colère contre les gouvernements car ils estimaient que l’anticipation n’était pas suffisante. Est-ce qu’on peut dire que l’anticipation des gouvernements et peut-être même des organisations supranationales ont été suffisantes par rapport à la catastrophe qui les a frappés ?

Je pense que des efforts assez accrus de préparation aux urgences et d’anticipation ont été entamés. Bien sûr, tout cela sur fond de manque de ressources souvent, mais peut-être aussi de manque de priorisation au niveau d’investissements dans la préparation nationale aux urgences. Il faut investir davantage dans le renforcement de la préparation, ça c’est certain. Depuis la Conférence de Sendai [conférence des Nations unies dont le thème était la prévention en 2015], la réponse aux catastrophes est davantage intégrée dans les politiques nationales, mais ça reste vraiment un parent pauvre du spectrum de l’aide, principalement dans la région de l’Afrique de l’Ouest et Centrale où on préfère encore trop souvent de répondre à une catastrophe que d’investir dans l’ensemble de la chaine de gestion des risques.

Et quelles sont les initiatives dont vous parlez au début de votre réponse ?

Nous, au niveau des humanitaires, notre défi, c’est évidemment d’être préparés à répondre aux urgences. On a le Fonds central pour les réponses aux urgences [Fonds central d’intervention pour les urgences humanitaires (Cerf), créé en 2006, aide humanitaire le plus rapidement possible aux personnes touchées par les catastrophes naturelles et les conflits armés] qui, depuis plusieurs années, investit énormément en Afrique pour les réponses, principalement aux inondations. Par exemple, on est passé de 1.5 million de dollars en 2017 à 29 millions de dollars en 2019. Donc, de plus en plus d’efforts sont faits pour vraiment répondre et être prêts à toutes les éventualités. Mais, l’adaptation au changement de climat est certainement aussi un chantier prioritaire.