L’ancien président du Kenya Daniel arap Moi, qui a dirigé le pays de 1978 à 2002, est décédé à l’âge de 95 ans, a confirmé ce mardi le cabinet du président Uhuru Kenyatta après une première annonce faite par la famille. Une longue présidence au bilan controversé.

Daniel arap Moi avait pris le pouvoir après la mort du père de l’indépendance, Jomo Kenyatta dont il était le vice-président, en 1978. On le surnommait « empreinte », car il disait toujours qu’il marchait sur les traces de son illustre prédécesseur, rappelle notre correspondant à Nairobi, Sébastien Nemeth.

Moses Wetangula, opposant, ancien ministre, avait été l’avocat de ceux qui avaient tenté un coup d’État contre Daniel arap Moi en 1982. Malgré toutes les controverses autour de l’ancien président, les 24 ans de son régime autoritaire et les atteintes aux droits de l’homme, Moses Wetangula estime qu’il faut surtout se souvenir d’un chef d’État rassembleur.

« Sous sa présidence, nous savons toutes les turbulences traversées par le pays, mais le Kenya est resté uni, déclare-t-il. C’est grâce à lui. Nous nous rappellerons du président Moi comme un croisé de la paix dans notre sous-région. Quand l’Ouganda subissait des turbulences, il a accueilli Yoweri Museveni, et d’autres parties en guerre. Jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé et que la situation retourne à la normale. Il était aux avant-postes pour apporter la paix au Soudan du Sud. Il a fait tous les efforts possibles pour restaurer la paix en Somalie. Nous garderons de lui l’image d’un homme énergique, notamment pour une éducation pour tous ».

« Il a dirigé ce pays durant une période agitée, poursuit Moses Wetangula. Et beaucoup d’épisodes sombres de notre histoire se sont déroulés sous son règne, mais l’important c’est que, maintenant que nous regardons en arrière, on sait qu’il a mené ce pays à l’endroit où nous sommes aujourd’hui. Donc, je pense que ces problèmes peuvent être pardonnés, parce que nous voulons unir le Kenya et le faire avancer. La Bible dit que le début de la guérison passe par la reconnaissance des fautes ».

De son côté, le vice-président kényan, William Ruto, qui appartient comme l’ancien président à la communauté kalendjin, a préféré vanter l’héritage laissé par Daniel Arap Moi malgré son héritage controversé. « Son intérêt sincère pour le pays, son altruisme, sa loyauté et sa sincérité lui ont permis d’acquérir un grand pouvoir, et d’attirer le soutien de millions de patriotes, déclare-t-il. Malgré certaines contraintes durant son mandat, le président Moi est resté déterminé et a montré que le Kenya ne trébuche jamais ni n’est jamais tombé dans le précipice qui a submergé tant d’autres pays ».

« À la place, il a renforcé le Kenya post-indépendance, il a consolidé notre sentiment national, et a étendu les services publics à toutes les régions du pays, poursuit William Ruto. On ne peut plus imaginer aujourd’hui une époque où le taux de décrochage scolaire, les grossesses et les mariages précoces étaient la norme. Malgré les doutes de beaucoup, le président Moi a entrepris les réformes qui permettent au Kenya de profiter d’une démocratie multipartite, ainsi que des libertés civiles et politiques. Il s’est soumis à la limite des mandats présidentiels, en prenant sa retraite avec dignité ».

1982 : la bascule autocratique

Mais son règne de 24 ans, a été entaché par la corruption et les atteintes aux droits de l’homme. On dit qu’il s’est transformé en dictateur en 1982. Cette année-là, il a transformé le système politique en instaurant le parti unique : un amendement à la Constitution fait du Kenya de jure un État à parti unique, ce qui empêche tout parti politique d’opposition de s’enregistrer. Les autorités font échouer une tentative de coup d’État : 159 personnes sont tuées, et le règne d’arap Moi se durcit. Le pouvoir s’en prend à ses adversaires qui sont arrêtés, torturés, assassinés, y compris l’ancien ministre des Affaires étrangères Robert Ouko.

Le système judiciaire est impliqué. Le Parlement devient une marionnette. La corruption, et notamment l’accaparement des terres, devient comme un cancer qui atteint tout le pays. L’une des pires tragédies a été le massacre de Wangalla, dans le nord du pays, en février 1984. Officiellement, cette opération militaire a servi à désarmer des clans d’ethnie somalie, faisant 57 morts. Mais des chercheurs parlent de 5 000 personnes massacrées. Les troupes en ont forcé certaines à s’habiller avec des vêtements imbibés d’essence pour les transformer en torches vivantes.

Finalement, sous la pression des Occidentaux et de la société civile, Daniel arap Moi accepte le retour du multipartisme, après une manifestation réprimée dans le sang en 1991. Constitutionnellement empêché de se représenter en 2002, Daniel arap Moi finit par quitter le pouvoir. Son système politique controversé est transformé avec une nouvelle Constitution en 2010, qui met en place des gardes fous pour éviter le retour des abus. Sa présidence a aussi été entachée par les malversations. Dans les années 2000, le rapport Kroll a parlé d’un milliard de dollars détournés par des sociétés fantômes et des associés.

Les Kényans avaient gardé une certaine affection pour lui, car il était âgé. Et les politiciens continuaient d’ailleurs à lui rendre visite et à le consulter, car il restait influent notamment dans sa communauté Kalenjin. Certains vont retenir de lui l’image d’un despote. D’autres celle d’un homme de paix ayant maintenu la stabilité du pays.

Aujourd’hui, l’image de l’ex-chef d’État a été lissée. Les politiciens s’inclinent devant son héritage. Les Kényans, eux, se rappellent surtout du lait qu’il avait fait distribuer gratuitement dans les écoles. « Il faut résister à la biographie officielle et ne pas édulcorer la dictature », explique le chercheur Rashid Abdi, qui dénonce le « révisionnisme historique » et « l’amnésie collective ».

Par RFI