Membre d’une famille malienne qui a fait ses preuves dans l’agrobusiness, Mohamed Kagnassy ( PDG de West Wind SA, ndlr) est conseiller en agrobusiness auprès du président Alpha Condé. Il explique comment la Guinée est en train de maximiser ses atouts agricoles.

Que doit-on retenir de votre présence auprès du président guinéen ?

Il revient aux populations guinéennes bénéficiaires de l’action gouvernementale dans le domaine de l’agriculture de témoigner des progrès enregistrés. La Guinée n’a jamais importé autant d’engrais qu’en 2017. Elle a également des progrès dans les autres volets à savoir la mécanisation et le renforcement des capacités des paysans. La Guinée va de progrès en progrès dans le domaine agricole. Avec les intrants agricoles récemment acquis, nous visons à donner davantage de possibilités aux paysans de cultiver sur de grandes superficies. Seule une agriculture moderne peut accroître les revenus des paysans et contribuer à une croissance soutenue. En plus, le pays est sur la bonne voie pour atteindre son objectif, de devenir une grande puissance agricole. Notre apport consiste à appuyer cette vision, à l’opérationnaliser sur le terrain.

Quand avez-vous commencé dans le domaine agricole ?

Je suis né dans l’agrobusiness ! Pour la simple raison que je suis issu d’une famille où ce métier est transmis de génération en génération. Le monde rural m’est donc familier. Certes, ce n’est pas le monde des hommes les plus favorisés, mais c’est le monde des hommes avec lesquels les relations vont au-delà des raisons économiques. Dans les milieux ruraux en Afrique, il n’y a pas que l’économie qui compte. Les relations sont d’abord humaines. Si on arrive à soutenir ce monde rural, à le placer au centre des projets prioritaires, les retombées en termes de croissance seront énormes pour le pays et ses populations.

Comment prodiguez-vous vos conseils au président de la République ? Êtes-vous un homme de cabinet où vous rendez-vous sur le terrain ?

Je suis avant tout un homme opérationnel. Le bureau, c’est bien. Mais, pour l’efficacité de l’expertise que nous apportons, il est nécessaire d’être sans cesse sur le terrain. Seul le terrain peut vous permettre de rectifier certaines décisions. Je connais la Guinée de la région côtière à la région forestière. Mon monde, c’est celui des paysans. C’est avec eux que je me comprends.

La Guinée mise sur l’agriculture notamment sur la culture de l’anacarde (noix de cajou), du café, du cacao… C’est d’ailleurs l’une des raisons de votre nomination.

Oui, ma fierté serait de voir une agriculture guinéenne en pleine expansion. Et ce n’est pas les atouts qui manquent pour en arriver là. Fort de ces atouts, j’ai bon espoir que nous pouvons atteindre nos objectifs en un temps record. Dans le même pays, vous avez la Guinée de la forêt, la Guinée de la savane, la Guinée des hauts plateaux et la Guinée du littoral. À elle seule, la Guinée constitue un continent. Chacune des régions de la Guinée peut nourrir les Guinéens et même exporter. Toutes les conditions sont donc réunies pour faire de l’agriculture un levier de développement, arriver à l’autosuffisance alimentaire et faire du pays un grand exportateur de produits agricoles. Vous me donnez l’occasion de m’exprimer sur les deux différents types de culture, à savoir les cultures pérennes et les cultures saisonnières. Ce qu’il faut surtout retenir de ces deux cultures c’est que l’une n’empêche pas l’autre. Si avec les cultures pérennes – café, cacao, noix de cajou, hévéa –, le paysan a un rendez-vous annuel pour sa cueillette ; les cultures saisonnières – entre autres, le riz et le fonio – peuvent aujourd’hui produire à n’importe quelle période de l’année. En effet, avec les aménagements effectués par l’État, couplés à la grande pluviométrie dont bénéficie ce pays, les cultures de contre-saisons sont aujourd’hui possibles. Dans certaines régions du pays, il est même possible qu’une superficie porte à la fois une culture pérenne et celle saisonnière.

Mais ces atouts à eux seuls ne suffisent pas, il faut une bonne politique agricole.

Je suis d’accord. Justement, le président Alpha Condé a adopté une politique agricole dont la concrétisation passe notamment par les aménagements, la mécanisation, les fertilisants, les semences et le désenclavement des zones de production. L’autre point de cette politique est l’industrialisation pour la transformation de certains produits agricoles sur place. Il s’agit d’une politique qui est favorable à la fois à l’autoconsommation et à l’exportation. L’objectif final, c’est d’arriver à l’autosuffisance alimentaire et à l’augmentation des revenus du plus grand nombre de Guinéens par rapport aux années précédentes. Pour le président Alpha Condé, la croissance réelle est l’augmentation des revenus du plus grand nombre des populations à la base. Que tous ces millions de Guinéens dans le milieu rural voient leur revenu augmenter à travers l’agriculture et l’élevage. Dans cette vision de développement de l’agropastoral, le Président accorde également une grande importance à la production de la viande et du lait. C’est pourquoi, il a entrepris depuis quelques années le croisement des races locales et étrangères.

Certes, mais si la main-d’oeuvre est abondante, elle reste sous-qualifiée. N’est-ce pas un handicap ?

Plusieurs facteurs entrent dans la réussite agricole. Parmi ceux-ci, figure effectivement la main-d’oeuvre. Avec l’accompagnement des partenaires comme OCP du Maroc, nous avons de quoi espérer. Je dirai plutôt que la main-d’oeuvre est longtemps restée non équipée. Que ce soit les ingénieurs agronomes tout comme les paysans, personne n’avait accès facilement aux équipements nécessaires.

Aujourd’hui, les choses changent. À la place des produits génériques qu’on prenait sur le marché, les partenaires vont créer une usine de fabrication de produits phytosanitaires. Quant aux engrais, nous n’avons plus de problèmes pour les avoir. En plus, la cartographie des sols est devenue une réalité tout comme l’utilisation des drones agricoles. Voilà des actions concrètes qui visent à sécuriser nos cultures et à maximiser la production. Sur le terrain, l’adaptation technique ne peut pas se faire sans le paysan. On doit la faire avec lui. Et en le faisant avec lui, il acquiert forcément des connaissances.

Le pays manque d’ingénieurs agronomes, souvent partis vers d’autres secteurs d’activité. Faudrait-il davantage motiver les jeunes à s’intéresser à l’agronomie ?

L’éternel recommencement est un handicap qui n’est pas le propre de la Guinée ! Un peu partout sur le continent, et dans tous les domaines, ce problème existe. On ne peut pas accumuler en recommençant. Pour développer les filières agricoles, on a besoin aujourd’hui de la technologie, mais aussi de l’expérience. Or, la plupart des anciens qui connaissent la réalité agricole guinéenne sont aujourd’hui à la retraite tandis que d’autres se sont réorientés, comme vous le mentionnez. Mais, les contextes n’étant plus les mêmes, la technologie peut compenser beaucoup de défaillance pour nous adapter aux réalités. Aujourd’hui, on parle moins d’agriculture que d’agrobusiness. Et l’agrobusiness demande de la semence améliorée, des drones, des fertilisants, du phytosanitaire, de la mécanisation… Avec les nouvelles techniques, produire toujours plus et toujours vite est devenu plus facile qu’avant. Alors, l’agriculture devient de plus en plus attractive dans notre continent. Dans certains pays d’Afrique, il y a plus de candidats à l’agriculture que de terres agricoles. En Guinée, ce problème de terre agricole ne se pose pas. D’ailleurs, nous avons essayé d’anticiper les choses en introduisant en Guinée différentes variétés adaptables aux différentes régions. L’exception guinéenne, c’est que nous avons à la fois la forêt, la savane, les plateaux et le littoral dans un seul pays. Les cultures sahéliennes comme le coton peuvent prospérer en Guinée. Même les cultures d’Afrique orientale. Par exemple, avec l’introduction du café arabica en Guinée, la région de Moyenne- Guinée peut, à son tour, produire du café. Auparavant, avec la variété robusta, on ne pouvait produire le café qu’en Guinée-Forestière, au sud du pays.

L’autre handicap ne serait-il pas le manque de structures de financement de l’activité agricole ?

Vous avez raison, il manque encore de structures de financement des activités rurales. Je préfère parler d’activité rurale. Parce que dans ce milieu, il n’y a pas que l’agriculture. Mais l’organisation est en train de se faire dans ce sens. Nous misons, entre autres, sur le Mobile Banking. Il faut en même temps aider les acteurs ruraux à pouvoir monter des projets bancables. Ce qui reste clair, un plan de développement rural doit prendre en compte des structures de financement dédiées à ce secteur.

Les Guinéens, notamment les paysans, arrivent-ils à comprendre votre vision ?

Le domaine de l’agriculture a été à un moment délaissé, parce qu’il ne rapportait pas à beaucoup de ceux qui y investissaient. Les gens, y compris même des paysans, ont donc cherché à investir ailleurs. Et les conséquences, nous les avons senties. Avec toutes ses potentialités, la Guinée continue d’importer du riz ! Depuis quelques années, le paysan guinéen a compris que l’agriculture, au-delà de nourrir, son homme, est un business. Qui parle d’agrobusiness parle du coût de la production. Or, en Guinée, l’eau est disponible, les terres arables foisonnent. Quand ces facteurs sont réunis, vous êtes forcément un candidat à l’exportation des produits agricoles sur le marché mondial. Tout ce qui peut vous rester à faire, c’est d’adopter une bonne politique agricole pour la mécanisation et l’industrialisation. Et c’est cette politique que nous menons, au profit du Guinéen. Voyant cela, beaucoup de Guinéens retournent aujourd’hui à la terre. Pour le Président, comme pour moi, l’agriculture et l’élevage constituent le levier du développement économique de la Guinée. Il s’agit là d’activités inclusives, contrairement aux mines où nous participons qu’à l’extraction. Avec les atouts que la Guinée a, l’agriculture reste l’un des domaines qui offre le plus d’opportunités d’emplois et d’entrepreneuriat. C’est pourquoi l’État guinéen fait aujourd’hui de son mieux pour attirer les jeunes à l’agrobusiness. Par exemple, dans la noix de cajou, on a récemment franchi les 2 000 dollars la tonne. Alors calculez ce que cela peut vous rapporter lorsque vous arrivez à produire 10 tonnes, ce qui n’est pas une grande quantité ! Et l’anacarde n’est qu’un exemple palpable parmi d’autres.

L’ambition d’Alpha Condé est aussi de concurrencer les grands producteurs agricoles de la sous-région, notamment la Côte d’Ivoire. Il faut combien de temps pour gagner ce pari ?

Le Président ne voit pas que la Côte d’Ivoire. Il veut surtout maximiser ce que la Guinée a comme atout agricole. Nous avons six millions d’hectares de terre arable, nous avons l’eau, nous avons des hommes qui sont prêts à gagner leur vie dans l’agrobusiness. Fort de ces atouts naturels et humains, Alpha Condé vise au-delà du continent. Aujourd’hui, il reste très peu de terre à beaucoup de pays pour l’extension de leur agriculture. Mais pour la Guinée, les terres sont encore disponibles. À cela, s’ajoute l’apport de la nouvelle technologie. Nous n’aurons donc pas les mêmes parcours que d’autres pays. Nous, notre retard peut être notre atout. C’est ce qui doit être compris.

On a l’impression que vous agissez moins dans le domaine de l’élevage…

Pourtant, avec la coopération marocaine, le président de la République a déjà entrepris un programme très novateur en Guinée, à savoir l’insémination artificielle pour augmenter la production de viande et de lait. Parce que nous avons en Guinée des espèces comme le Ndama, qui atteint rarement les 200 kilogrammes. Dans d’autres pays, certaines espèces pèsent jusqu’au-delà de 1 000 kilogrammes. Dans le domaine de l’élevage, nous avons surtout besoin de la formation. Des jeunes ont été récemment envoyés en formation au Maroc pour servir de noyau à la promotion d’une nouvelle race… L’objectif, c’est plus de production quantitative et qualitative pour l’éleveur et plus de viandes disponibles pour le consommateur.

Alpha Condé, en tant que dirigeant de l’Union africaine, a souvent évoqué le rôle majeur qu’il accorde à l’agriculture. A-t-il été entendu, durant son mandat ?

Je suis heureux que le président Condé ait pu réveiller les consciences en matière agricole. Si l’agriculture concerne un grand nombre d’Africains, c’est qu’elle concerne alors l’essentiel du continent. Mais le paradoxe est que l’Afrique, avec toutes ces terres arables doit importer les productions agricoles des autres régions du monde. C’est un non-sens. L’argent consacré à cette importation pouvait servir à autre chose. Durant toute une année, Alpha Condé a attiré l’attention de tous sur les potentialités agricoles du continent, il a parlé au nom des paysans, il les a mis en lumière. Il a fait comprendre que l’agriculture est un secteur qui peut nous amener à résoudre nos problèmes et à concurrencer les autres. De ce point de vue, la Guinée est un résumé du potentiel agricole du continent ! C’est-à-dire un continent qui a les ressources naturelles et humaines pour le développement de son agriculture. Ce n’est pas non plus les débouchés qui font défaut. Avec l’augmentation de la population mondiale, la demande en alimentation va croître. Alors, l’Afrique ne peut plus se tourner exclusivement vers l’agropastoral. On ne peut pas disposer de tels atouts et écarter l’agriculture dans sa stratégie de développement. Mais, l’agriculture ne pourra être forte en Afrique qu’avec des structures fortes dédiées à la cause. Après le passage du président Condé à la tête de l’UA, ce sont des termes comme agrobusiness ou agriculture qui sont repris partout en Afrique. Dans toutes les régions du continent, c’est un réveil. Et c’est formidable. En réaction, la BAD a compris que le continent regorge d’atouts naturels et humains dans ce domaine ; sans surprise, l’institution parle davantage de l’agriculture !

Lu sur African Business